Vider... Remplir... Mon métier en deux verbes

Je m'en rends compte chaque jour : le métier d'enseignant est un métier de contrastes et de contradictions. C'est ce qui en fait le sel d'ailleurs, ce qui le rend goûtu, addictif... et parfois à l'excès.

L'envie d'écrire cet article a commencé cette semaine alors que plongeant ma main dans les poches de mon manteau-chaud-de-maitresse-qui-se-tape-des-services-de-récré j'ai été obligée d'en vider le contenu pour retrouver la clé que j'y cherchais...

Voici donc comment l'essence de mon métier peur se résumer en deux verbes :

VIDER ET REMPLIR 


réactions méditation zen accent bruce lee
Quand Bruce Lee donne des conseils zavisés
mais pas simples à respecter quand tu es prof...


VIDER les poches de son manteau et y trouver pêle-mêle : des legos confisqués dans la cour de récréation, une boulette de patafix confisquée en classe, une punaise ramassée dans le couloir de l'école avant qu'un enfant ne s'en empare, ma clé-USB de documents à vidéoprojeter à mes CM2, les 29 tickets de la dernière sortie théâtre, un dessin offert par un élève de maternelle plié en 26, un paquet de doliprane éventré...

REMPLIR quotidiennement son sac de copies à corriger, de copies à rendre, de manuels, de supports de travail...


VIDER chaque jour son réservoir d'énergie en classe

REMPLIR chaque jour son réservoir d'énergie en classe


VIDER son compte en banque d'achats divers pour la classe (livres, petit matériel, bureautique, outils numériques...)

REMPLIR ses placards de livres, petit matériel, bureautique et outils numériques pour l'école... et transformer son séjour en annexe scolaire


VIDER l'encre de ses stylos à écrire, souligner, raturer, entourer...

REMPLIR des copies et des cahiers et encore des copies d'annotations (qui ne seront que très hypothétiquement lues et prises en compte mais sait-on jamais...)


VIDER son sac entre collègues quand le besoin s'en fait sentir après une matinée difficile

REMPLIR son état d'esprit de conseils et de paroles encourageantes et déculpabilisantes et repartir de plus belle l'après-midi


VIDER uniquement du lait et du jus de fruits en bouteilles à la maison

REMPLIR des sacs entiers de bouchons de plastique de bouteilles de lait et de jus de fruits à ramener à l'école, pour les transformer par la magie du Saint-Esprit-Didactique en outils d'apprentissage


VIDER tout son réservoir de patience pour canaliser les élèves dès qu'il tombe une goutte de pluie ou (pire) un flocon de neige

REMPLIR ses oreilles de déclarations d'amour enflammées de zapprenants de petite taille


VIDER un différend entre élèves avec des arguments imparables tels que "Tu aimerais qu'on te fasse ça, à toi ? Non ? Alors tu t'excuses, dépêche-toi !"

REMPLIR son rôle de garant des valeurs républicaines (enfin essayer de)


VIDER des pots de yaourt en verre à la maison

REMPLIR ces pots de yaourts de colle ou de peinture à l'école


VIDER sa batterie de téléphone portable, devenue outil de travail, à faire des photos en classe et à faire des recherches internet sur le temps du midi (faute d'avoir un ordinateur et/ou une connexion internet dans l'école)

REMPLIR la carte SD de son téléphone de photos de zapprenants (au point de devoir supprimer des applications faute de mémoire disponible)


VIDER café sur café en salle des maitres

REMPLIR son estomac de repas cantinesques aux qualités zinégales (et aux portions parfois plus que congrues)


VIDER la coopérative pour organiser des activités sympas en classe

REMPLIR ses poches chaque fin de mois au moment de la paie (ah non ça marche pas ça...)


VIDER ses poumons à courser des élèves lors d'un jeu collectif de poursuite

REMPLIR les cahiers de liaison pour les distribuer aux parents mais sans savoir quand ces cahiers te seront tous retournés


VIDER sa vessie à heures fixes la journée

REMPLIR ses pensées de questions de travail et avoir du mal à éteindre son cerveau le soir ou en fin de semaine


VIDER une boite de craies à une vitesse hallucinante (celles utilisées pour dessiner des morpions pour les séances d'EPS dans la cour et celles subtilisées par les élèves étant en partie responsables de cette surconsommation)

REMPLIR son tableau de date du jour, de mots clés, d'opérations, de corrections de dictées ou de problèmes, de traces écrites à recopier par les élèves


VIDER une trousse d'élève sur la table et lui faire prendre conscience que s'il ne prend pas soin de son matériel il ne peut pas travailler correctement

REMPLIR son tiroir de bureau d'objets confisqués de toute sorte tel un inventaire à la Prévert


VIDER les lieux le vendredi soir avec la conscience de l'impossibilité de REMPLIR parfaitement l'ensemble des attendus du métier...
...et accepter que ce nécessaire imperfectionnisme fait toute la poésie de ce métier : accepter ses limites, celles de ses élèves, et continuer d'avancer malgré tout. Malgré tout...





#BlablaProf

boire comic con bouteille jack sparrow alcool
Quand il est temps de conclure cet article et d'aller me servir un petit verre de Pouilly :-)

4 commentaires:

Fleury Odile a dit…

Après la lecture de plusieurs articles, je ne peux que vous laisser un petit message : bravo pour cette plume, cette vérité si facilement déclarée et toute cette fraîcheur consacrée à ce chouette métier. Le plus gros pari est d'accepter l'imperfection et encore heureux sinon qu'est ce qu'on s'ennuirait. Bonne continuation

Fofie Flood a dit…

Rholala Odile... deux fois que je relis ton commentaire (je n'avais pas eu le temps de répondre la première fois) et deux fois que je rougis.
Merci !

Aurélie a dit…

J'adore la fin de cet article... une touche de poésie dans ce monde de profs :-)

Fofie Flood a dit…

Merci Aurélie :-)