Cette question, pourtant légitime, je l’élude quasi
systématiquement, je la contourne, j’y réponds par une généralité, une
pirouette, bref je feinte.
Non pas parce que je ne sais pas y répondre mais au
contraire parce qu’au fond de moi je connais trop bien la réponse et qu’elle
n’est pas faite que de gommettes roses à paillettes, de « oh j’adore les
enfants ils sont trop mignooooons » (« Mignon » un enfant ?
Allons donc !) et de fantasme sur la possession d’une plastifieuse
personnelle.
Mais il parait que devenir adulte c’est aussi assumer ses
failles personnelles et (essayer de) les dépasser… Alors allons-y, ouvrons les
vannes de la vraie réponse à cette question :
Pourquoi je suis (en train de devenir) prof ?
Je suis fille de profs, l’immense majorité des amis de mes parents étaient profs, bref j’ai grandi dans un environnement de profs,c'est à dire au milieu :
- de discussions de profs (soupirer sur le niveau des élèves, soupirer sur les
parents d’élèves, soupirer sur les collègues, soupirer sur les chefs
d’établissement…),
- d'habitudes de profs (« Tu as vu le dernier film hongrois de 1954 en version non-sous-titrée
dans ce petit cinéma fréquenté uniquement par des profs ? »),
- de blagues de profs (#nocomment #censuré)
etc.
Ce n’est donc sans doute pas un hasard si j’ai toujours aimé
l’école : j’y ai été comme qui dirait « acculturée » au biberon.
Ma mère a décelé en moi, quand j’avais environ 3 ans, une
appétence pour la lecture alors c’est tout naturellement qu’elle m’a fait le
plus beau des cadeaux (la vie, ce petit détail, mis à part) : elle m’a
appris à lire puis à écrire. Non, en fait ce n’est pas tout à fait exact , elle ne m’a pas juste appris le décodage ou la lecture compréhension (comme on
dit nouzautres les zinstits) : elle m’a avant tout donné le goût de la lecture et la soif
d’apprendre pour toute ma vie.
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Une pitite photo de moi prise à l’âge où toute
cette aventure du professorat a commencé… (si j’avais su les cernes que ça me causerait j’aurais peut-être fait danseuse étoile) |
Quand je repense à ma scolarité je me rends compte
aujourd’hui de deux choses :
- J’ai toujours aimé l’école, je veux dire que j’aimais absolument TOUT de l’école : l’environnement de la classe, les jeux de la récréation, les copains, les repas à la cantine (hiiiiiiiiiiiiiii du poisson pané, trop fort !) et pour l’anecdote j’ai adoré 99,9 % de mes profs (il n’y en a qu’un seul qu’il ne vaut mieux pas que je croise sinon il passera un sale moment mais ceci est un autre sujet)
- Je n’y ai jamais appris grand-chose (oui c’est prétentieux dit comme ça mais j’assume car c’est la vérité) parce que j’avais déjà cette envie d’apprendre par moi-même, par la lecture, par l’observation de mon environnement, par les discussions avec mes parents etc. Ça ne m’empêchait d’ailleurs pas de faire ce qui m’était demandé en classe ni d’aimer l’école. Bref en fait je m’y ennuyais mais avec un vrai plaisir et sans faire de vague.
Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours voulu devenir
enseignante pour transmettre à mon tour cette fameuse soif d’apprendre, pour « allumer
un feu » comme dirait ce bon vieux Johnny Hallyday Plutarque, chez mes
élèves.
Ce projet a pris des formes différentes en fonction des
époques de ma vie, des disciplines que j’ai le plus aimées pendant ma scolarité
et évidemment des enseignants auxquels je me suis attachée : j’ai
alternativement envisagé d’être maicreeeeeesse « bien sûr » mais
aussi prof de français, d’espagnol, d’anglais, d’italien (nb : et ce sans jamais avoir appris l’italien, notez-bien
#pasfroidauxyeux), d’histoire-géo, de poterie (non ne cherchez pas la cohérence, y en a pas)…
Au milieu de toutes ces années, quand je venais d’avoir 10
ans, j’ai perdu brutalement ma maman. Je ne suis pas encore prête à mettre des
mots, même par écrit - et surtout sur un blog public -, sur ce que j’ai vécu à
ce moment-là et depuis lors.
Je peux juste dire qu’il n’y a pas un jour qui passe sans
que je ne cherche à retrouver le souvenir de son sourire, de son regard
pétillant, de sa joie de vivre, de son humour, de sa tendresse, de l’amour
qu’elle m’a donné… mais aussi de son engagement complet comme enseignante.
On va faire simple : ma mère c’est à la fois ma maman (Noooooon sans blague ? Et sinon,
Sophie, tu savais que le feu ça brûle et que l’eau ça mouille ?) et,
je ne le réalise que maintenant, mon principal modèle professionnel.
[C’est dur d’écrire
tout ça mais j’essaie d’avancer dans mon flood, parce que la vie continue,
irréfragablement]
En fin de seconde, alors que je pensais ma voie toute tracée
vers l’enseignement, une question anodine a tout chamboulé.
Je discutais avec
une personne de ma famille, je lui expliquais comment j’avais tout bien prévu
de ce que je voulais faire dans la vie (filière littéraire au lycée, hypokhâgne
puis khâgne, et après école normale ou maitrise de lettres pour devenir prof de
lettres et pis sinon profiter des vacances – les fameuses ! – pour faire
le tour des îles grecques à la voile et en backpack).
Et au milieu de cette logorrhée (oui c’est pas nouveau mon
flooding way of life), cette personne m’a posé LA bonne question :
« Ok, super, mais
est-ce que tu es sûre de vouloir enseigner ? Parce que c’est important de
trouver un métier que tu auras envie d’exercer plusieurs années et dans lequel
tu t’éclateras vraiment. »
![]() |
Post-it perso : « Sophie, n’oublie pas
que tu n’as toujours pas fait la moindre île grecque au final
#jedisçajedisrien » |
A cette époque je ne pouvais pas répondre honnêtement que
j’étais sûre de vouloir enseigner, que c’était vraiment ce que JE voulais
faire, que ce n’était ni du mimétisme parental, ni la facilité d’être une
bonne-élève-qui-devient-prof-du-coup. J’en ai pris conscience à cet instant (et
je ne remercierai jamais assez cette personne de m’avoir posé LA question qui
m’a permis de prendre un recul salutaire).
Quelques heures après, j’avais donc réorienté entièrement
mon projet professionnel et je ne l’ai jamais regretté. J’ai découvert à
l’Université un domaine d’études vers lequel je n’aurais pas été spontanément
et je m’y suis éclatée intellectuellement.
J’ai travaillé 10 ans dans ce domaine, j’ai eu la chance d’avoir
plusieurs postes et expériences professionnelles, tous extrêmement riches et
complémentaires, j’ai progressé rapidement et continué d’apprendre encore et
encore et encore ; j’ai aussi vécu des moments humainement très intenses et
formateurs.
En cela je me rends compte que je suivais déjà le modèle
maternel de s’investir complètement dans ses responsabilités professionnelles,
d’y trouver du plaisir, d’apprécier de renouveler les missions exercées. Bref,
c’était l’éclate !
Mais…
Il parait qu’on est toujours rattrapé par son passé :
lors de ma dernière grossesse (c’est terrible une grossesse parce que ça fait
remonter beaucoup de choses très profondément enfouies), j’ai ressenti
viscéralement que désormais je pouvais et je voulais le dire au grand jour :
OUI J’ETAIS (enfin) SURE DE VOULOIR
ENSEIGNER. Oui c’était bien MON
choix, pas celui de la facilité (Houla
non, ça on peut pas dire que ce soit le choix de la facilité…), ni du mimétisme, juste une façon de remettre
les choses en ordre et d’être cohérente avec moi-même.
Évidemment qu’en faisant ce choix le modèle parental, celui
de ma mère en particulier, est complètement prégnant, je ne peux dois
pas le nier, mais maintenant j’essaie d’apprendre à vivre avec, parce que je
sais aussi que l’école et l’enseignement font partie de mon histoire.
C’est comme ça et pis c’est tout, je ne vais pas passer à côté de MON projet de vie juste parce que mes parents aussi étaient profs, non mais zut !
C’est comme ça et pis c’est tout, je ne vais pas passer à côté de MON projet de vie juste parce que mes parents aussi étaient profs, non mais zut !
![]() |
On va dire que cette photo du pull d’une de
mes zélèves fera office de conclusion à cet article un pitit peu difficile à écrire, OK ?1 |
Post scriptum (pitit message
personnel) :
Maman, tu ne savais pas ce que tu faisais en commençant à
m’apprendre à lire, maintenant je suis instit' et tellement fière de
l’être, si tu savais ! J’aimerais juste avoir la moitié du quart du
commencement de tes compétences pour insuffler les apprentissages chez mes
élèves.
Dommage que ce ne soit pas génétique ces choses là…
#BlablaProf
9 commentaires:
merci d'avoir livré ce pan de ton histoire Je suis très très touchée...
Ouahou ! Chapeau pour le courage de parler de ce sujet délicat, de te reconvertir et de partager tout ça avec nous. Merci ! Beaucoup de passages de cet article ont fait écho. Et ça fait du bien.
Une Bien belle personne .
Ohh!! La grossesse!! on peut en dire beaucoup. Mais c'est bien elle qui nous fait changée.
Merci pour cette petite partie de ton histoire qui me fait comprendre ma volonté de reconversion.
Merci pour ces mots ! Je viens aussi d'une famille de profs (parents, tante, cousine, grands-parents), qu'est-ce que je me retrouve dans ce que tu dis !! Je suis en procédure de licenciement économique et je me pose la question de la reconversion en tant qu'enseignante. C'est sous-jacent depuis un moment et là c'est l'occasion de poser cela...
Par contre moi c'est plutôt le contraire, mes parents ne me poussent pas vraiment vers le métier de prof... ce qui me met le doute. Pourtant je n'ai pas envie de regretter ensuite cette carrière manquée...
Est-ce possible d'en discuter en privé?
Merci beaucoup pour ton blog qui est passionnant je trouve !!
Bonjour Sophie je viens de découvrir votre blog et dévore un grand nombre de vos articles ! En carriere côté secteur privé dans differentes grandes entreprises je pense à me reconvertir pour devenir professeur des écoles ! J'aimerai échanger avec vous par mail si vous en êtes d'accord ? Merci d'avance et continuez d'écrire :)
Merci infiniment
Bonjour Sophie,
J'ai pris un uppercut en lisant votre histoire (de famille).
Je suis heureux que vous suiviez les traces de votre mère.
J'espère que vous êtes heureuse,aujourd'hui.
Je suis ingénieur,fils d'ouvrier et de plus en plus malheureux de travailler dans une grosse boite!
Je vais passer le concours pour être instit, une reconversion envisagée de longue date et reportée chaque année.
I have always loved school and learning.
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