Devenir prof que du bonheur ? (période 3)

Fin de période : et c'est désormais un rituel bien établi, j'essaie de me poser le temps de l'écriture d'un article pour mettre des mots sur ce que je ressens en répondant à chaque fois aux 7 mêmes questions.

Les objectifs spécifiques de cette "séance" (oh putain Sophie, merde, tu peux arrêter de poser une grille didactique sur tout ?) sont :
- d'exprimer mes ressentis à chaud pour essayer de prendre ensuite du recul (rien à faire : écrire ce blog, c'est ce qui me sauve cette année... je ne sais pas comment j'ai pu vivre sans lui !)
- de garder une trace de ce que j'ai pu penser ou ressentir à un instant T, pour pouvoir mesurer après coup ce qui a pu évoluer (ou non) dans le temps

Pendant cette année, je me rends compte que je passe très rapidement (encore pire que d'habitude) du "ma vie est géniale j'adore mes élèves c'est que du bonheur cette reconversion" à "bouhouhou personne ne me comprend, l'espé c'est de la merde et je veux mouriiiiiiiiir", de "tout va bien" à "je suis au bout de ma vie", de "j'y crois" à "j'y crois pas", de "j'adore mon métier point barre" à "j'adore mon métier mais...".
C'est pour ça que d'écrire ces articles périodiquement me force à faire un tour de table de mes ressentis, afin de canaliser à la fois ma propension au surenthousiasme et ma capacité inénarrable à douter de tout tout tout...

Mais avant d'écrire quoi que ce soit, voici un gif qui synthétise mon état d'esprit à l'instant T (vraiment à l'instant T, je n'aurais sans doute pas choisi le même hier...) :

Studio Flox smoke bar stop motion break
Même si j'ai toujours à gérer de front mes différents tentacules de professeur-étudiante-petitpadawandemontuteur-maman-épouse-amie-blogueuse-et-des-fois-dormeuse, je veux désormais réussir à le faire SEREINEMENT bordel de merde !


  • Qu'est-ce qui me rend triste ?

Arf, dur de commencer par cette question... la plus douloureuse à rédiger...

Mais sans le moindre doute, ce qui me rend triste, au delà des mots, c'est de me rendre compte que je sais tout ou presque de mes élèves, de leurs apprentissages et de leurs personnalités, mais que j'ai un mal fou à prendre le temps de me poser avec mes propres enfants cette année.

Eux le comprennent, nous en avons suffisamment parlé et ils savent que je les aime, mais... cette culpabilité, bordel...

Mes tuteurs ne cessent de me dire à quel point je suis bienveillante et vraiment dans l'écoute de mes élèves mais je n'arrive pas à apprécier leurs mots car immédiatement je ressens un pincement au coeur en pensant, par contraste, que je manque de patience envers mes enfants quand ils veulent me raconter leur journée ou qu'ils ont juste le malheur de "vivre" à côté de moi quand je ne rêve que d'un monde de silence.

Il est temps que je réapprenne à structurer mon TCD (temps de cerveau disponible) entre mon métier et ma famille. Il est VRAIMENT temps...

  • Qu'est-ce qui me met en colère ?

L'Espé... Tout ce qui touche à l'Espé de près ou de loin.

Je pensais n'être "que" blasée par l'Espé et ses carences abyssales mais je réalise que cela va bien au delà ; je suis véritablement en colère parce que ce n'est pas qu'une histoire de cours pas intéressants, c'est aussi :
- des comportements humains dévalorisants
- une opacité des critères d'évaluation
- un mépris transcendental pour les réalités que nous expérimentons en classe
- un déni complet des difficultés que nous tentons de faire remonter pour essayer d'ajuster l'organisation de notre formation théorique
...

Bref, sans répéter ici tout ce que j'ai pu écrire déjà sur le sujet, je suis tellement en colère sur le sujet de la formation des bébés-profs que si je pouvais postuler à un poste me permettant d'agir là-dessus, je le ferais directement tellement je ne rêve que de décaper cette bouse géante dans laquelle nous sommes englués.

Mais apparemment le problème de la formation des enseignants semble plus incrusté dans le système institutionnel qu'un point noir sur le nez d'un ado à l'hygiène douteuse...

  • Qu'est-ce qui me fait peur ?

Petit moment d'appréhension : je suis sur le point de démissionner de mon futur-ex-boulot.
Je sais que je fais le bon choix en allant au bout de cette reconversion professionnelle mais difficile de me dire que toute une partie de ma vie est désormais derrière moi.

J'ai vraiment aimé ma première carrière, je n'en regrette rien (même les moments les plus hards) parce qu'elle m'a donné l'occasion de vivre beauuuuuucoup de situations extrêmement formatrices (délicates, loufoques ou difficiles) et de forger ma personnalité professionnelle. Plus l'échéance de signer ma démission approche, plus je repense à tout ce que j'ai pu vivre dans mes premiers postes et à quel point j'aurai eu matière à écrire un blog déjà...
Je regrette de ne pas l'avoir fait car je ne peux compter que sur mes souvenirs désormais et que ce que je vis cette année occupe pas mal de RAM dans mon cerveau.

Je pense que j'écrirai un article un jour sur la démarche de reconversion et sur ce que cela a impliqué pour moi de passer du monde magique de l'entreprise au monde magique de l'Education Nationale.

En attendant, il est temps pour moi de démissionner de mon ancien travail et j'appréhende aussi parce que je n'ai aucune certitude ni visibilité sur ce qui m'attend côté Education Nationale...

  • Qu'est-ce qui me rend heureuse ?

Quitte à enfoncer une porte ouverte : ce blog ! Ce blog au sens le plus large du terme : le fait d'écrire certes, mais aussi les échanges quotidiens sur la page Facebook, les commentaires sous les articles, les messages et mails que je reçois.

D'abord parce que je reçois une dose délirante de gentillesse, de soutien et d'encouragements à chaque fois (et que j'y suis CRES sensible).

Ensuite parce que ce n'est pas anodin quand vous exprimez que ce que je peux raconter fait écho à ce que vous vivez ou avez vécu vous aussi : cela ne change pas le quotidien (et ses difficultés ou frustrations) mais ça permet de remettre les choses à leur juste place et personnellement à chaque fois, ça me conforte dans l'idée que par delà les moments de galère je dois persévérer et continuer vaille que vaille mon petit bout de chemin dans l'Education Nationale.

Autant dire que le mot merci est bien faible parfois...

  • Qu'est-ce que j'ai appris de nouveau ?

J'étais déjà sensible à l'importance du travail en équipe mais je continue de découvrir chaque jour à quel point, dans ce métier, la solidarité est réelle et l'entraide une nécessité.

En tant qu'enseignante, je suis seule dans ma classe. Enfin pas complètement seule, puisque pendant les heures d'école j'ai des êtres de petite taille collés à mes basques à proximité immédiate évidemment, mais quand tu es le seul être vivant à dépasser 1,12 mètre d'altitude dans une pièce fermée tu ressens parfois ce besoin démentiel de croiser un congénère de la même espèce que toi. Sans parler de tout le temps de travail en dehors des élèves... sans parler de l'Espé non plus...

Cette entraide est une évidence quand tout va bien, alors autant dire que dès que la machine se dérègle, elle devient une nécessité absolue.

Pendant cette période en particulier, j'ai expérimenté la solidarité (solidarité et non pas corporatisme !) de collègues, compris au sens large du terme : à l'école, à l'Espé, sur le net, des professeurs des écoles mais aussi des professeurs du secondaire ou des personnes exerçant d'autres fonctions dans l'Education Nationale. A chaque fois, bordel, c'est comme un (gentil) coup de pied au cul pour envoyer bouler les doutes, regarder devant soi et continuer d'avancer envers et contre la fatigue, les doutes et les difficultés.

C'est probablement idiot, mais à force d'échanger avec des collègues, je me sens maintenant enseignante jusqu'au bout des ongles de mes orteils.

  • Qu'est-ce que je regrette ?

Je regrette d'avoir pensé un moment que le mémoire de M2 pourrait être quelque chose qui ait du sens et que j'aurai du plaisir à faire (je regretterais presque de ne pas être restée en "parcours adapté" et d'avoir choisi de valider un deuxième master).

Il faut dire que j'ai été naïve hein, je me suis contentée de prendre en compte le fait que :
- tout ce qui touche à l'enseignement m'intéresse
- j'avais choisi un sujet qui m'éclate
- j'aime lire, analyser et rédiger

Ces éléments restent vrais mais dans mon enthouasiasme j'ai oublié un paramètre pourtant fon-da-men-tal (tss tss tss) : il ne s'agit pas d'un "mémoire de M2" mais bien d'un "mémoire de M2 MEEF".
Donc qui s'inscrit dans le cadre de la formation à l'Espé.
Donc qui par essence est sans saveur ni odeur, sans contenu, sans substance, sans fond, sans forme, sans finalité, mais juste contraignant et infantilisant.

Et je repense en riant aux mots du recteur lors de la journée d'accueil institutionnel en tout début d'année scolaire
"vous avez le devoir de vous comporter en véritables enseignants-chercheurs et d'écrire un mémoire qui fasse avancer la recherche dans notre domaine"
Je ris mais on pourrait aussi pleurer de ce décalage répété entre les promesses et la réalité...

  • Qu'est-ce que j'attends avec impatience ?

J'attends tout ce qui est à venir dans cette année et pour commencer mon stage massé avec une classe de CM2 après les vacances de février.

Découvrir une classe à temps plein pendant 3 semaines (sans Espé hiiiiiiiiiiiiiii), avec des grands zapprenants, avec probablement un travail en mode projet : ça me semble tellement stimulant ! J'ai en plus une chance indécente : je vais participer avec eux à une grosse rencontre sportive, qu'ils préparent depuis plusieurs semaines déjà.
Autant dire que j'ai bien l'intention de m'éclater pendant ces 3 semaines :-)

Et j'attends aussi, ensuite de retrouver mes tout petits zapprenants que je n'aurai pas vu pendant 5 semaines consécutives. J'ai hâte de travailler un autre mythe avec eux (puisqu'ils ont kiffé leur race vraiment appris beaucoup de choses avec "Thésée et le Minotaure") et de commencer enfin à préparer ensemble notre classe transplantée :-).


Bref, quoi qu'il advienne, "FORCE ET HONNEUR PUTAIN DE BORDEL DE MERDE", c'est les mots que je me répète en boucle :-) (oui je dis des crès gros mots parfois souvent tout le temps bouuuuuuh)



PS : Pour ceux que ça intéresse, vous trouverez les deux premiers articles de cette série ici et .

Je ne les ai pas encore relus pour ne pas être influencée ni sur le fond ni sur la forme et garder la spontanéité de cet article écrit complètement à chaud mais après une bonne nuit de sommeil (luxe incroyable cette année) et entre deux câlins de mes enfants.

#BlablaProf

7 commentaires:

Unknown a dit…

Merci pour ce partage. Je prépare le concours, en reconversion professionnelle aussi, et je me pose beaucoup de questions... Te lire est bienfaisant. 😊

Fofie Flood a dit…

Merci encore :) Si tu as des questions surtout n'hésite pas !

fable a dit…

ahhh j'adore!! Je m'y retrouve tellement, entre la reconversion (sauf que moi j'ai déjà démissionné), les doutes, cette réalité de l'esse face à pourtant tan d'espoir, et ce mémoire (pfffft) et moi aussi j'ai déjà un vieux M2, dans une autre matière mais pour nous pas de différence entre un nouveau M2 et parcours adapté...
bref, heureusement qu'en classe c'est l'éclate, sinon oui gros regrets.... mais non je ne regrette rien, et n'attend qu'une chose, je serre les dents et que vite l'espe se passe...et comme tu dis, on est tous dans le même bateau et ça rassure, ça réconforte!!
et merci pour ce que tu écris, on en rigole et on se sent moins seule....
courage!!!
ça en vaut la peine!!

Anais M. a dit…

"Pendant cette année, je me rends compte que je passe très rapidement (encore pire que d'habitude) du "ma vie est géniale j'adore mes élèves c'est que du bonheur cette reconversion" à "bouhouhou personne ne me comprend, l'espé c'est de la merde et je veux mouriiiiiiiiir", de "tout va bien" à "je suis au bout de ma vie", de "j'y crois" à "j'y crois pas", de "j'adore mon métier point barre" à "j'adore mon métier mais..."."


-> C'est pareil pour moi qui suis T1. Mais c'est ça qui fais que je tiens le coup même les jours les plus durs, c'est de savoir que demain sera différent et surement une meilleure journée.

Quand je lis cet article, je me revois l'année dernière (sauf que moi j'ai pas tenté le deuxième master, je savais à quoi m'attendre de la part de l'ESPE ;) ) et si il y a bien une chose que je ne regrette pas, c'est l'ESPE :D

Anonyme a dit…

ah mais qu'est-ce que t'es drôle putain de bordel de merde ...et ce que ça fait du bien de te lire. Pour le blog, j'ai hésité cette année, en tenant déjà un sur un tout autre sujet mais franchement je préfère passer par chez toi, ça envoie du lourd,sans langue de bois, et ça j'adore ! Pour l'ESPE c'est moche de constater que nous avons les mêmes ressentis aux 4 coins de France et encore, moi je suis dispensée d'exams et donc de mémoire (concours 3ème voix). Le seul truc bien finalement à l'ESPE c'est de retrouver les autres bébé profs, tous englués dans les mêmes galères de débutant, ça permet de dédramatiser un peu ... comme toi je me sens légèrement bipolaire-schizophrène depuis septembre, passant de "la vie est belle, la reconversion c'est le pied, les loulous sont extras, pourquoi j'ai pas fait ça avant?" à "Putain, ils me font tous chier,c'est quoi ce métier de ouf, je tiendrais pas, où est-ce qu'on signe pour démissionner ?"... c'est un nouveau style qui demande un petit temps d'adaptation mais on s'y fait à la longue ;-) Allez longue vie à ton blog, ça promet encore de bons moments de lecture et bonnes vacances ! Laurette

Sevsovann a dit…

Même ressenti concernant ľÉPSÉ (Bonneuil pour ma part); et comme je te (je me permets de te tutoyer) comprends quand tu évoques le grand dilemme des parents-enseignant : l'équilibre entre l'énergie consacrée aux élèves et a nos propres enfants.
En tous les cas, ton blog est génial! C'est à chaque fois la minute fou-rire dans ma semaine d'EFS!

Fofie Flood a dit…

haaaaan je sais pas comment j'ai fait mon compte mais je ne vous ai pas écrit tous les MERCIS que j'ai eu envie de vous dire en lisant vos commentaires la semaine dernière...

Fable : idem dans mon Espé, pas de différence M2/parcours adapté => c'est pour ça que je me suis dit que tant qu'à faire si "pour le même prix" (et il est louuuuurd le prix à payer en Espé, boudiou !), je pouvais valider le M2...

Anais : oui, à te lire, je ne m'attends pas à une année de T1 (si je suis titularisée... et c'est pas gagné...) "planquée" professionnellement...

Laurette : rhoooo, rhoooo et rhoooo !!! Mais c'est que tu me ferais rougir, dis-donc :-) c'est quoi ton blog-de-pas-que-prof-dans-la-vie ?

Sevsovann : ah mais tu as INTERET à me tutoyer, non mais ! Surtout après un aussi zentil commentaire !

Bises !
Sophie